Comment on a pu en arriver là …

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Hier encore je t’entendais gronder tes poupées parce qu’elles n’avaient pas fini leur assiette. Ou parce qu’elles avaient mis de la pâte à modeler sur le tapis. Ou parce qu’elles faisaient un caprice pour regarder un épisode de la PatPatrouille.
Et je voyais ton frère se balader, les fesses à l’air mais avec sa cape de chevalier, cherchant les dragons avec son épée, comme si y en avait un caché derrière la porte de la salle de bain.

Aujourd’hui je te vois faire des allers retours aux toilettes pour piquer des feuilles de papier, et astiquer les mains de tes poupées en rouspétant, que c’est pas bien ça, il faut pas toucher les portes, y a que maman qui ouvre les portes. Je t’entends leur expliquer qu’il n’y a pas gym aujourd’hui, et pas école, et pas théâtre. T’inquiète pas, que tu dis, Maman est là, on va quand même faire une petite balade, mais pas longtemps.
Et ton frère, le cul à l’air, la cape et l’épée, semble avoir trouvé quelque chose derrière la porte de la salle de bain. C’est bon Maman, j’ai chassé le gros virus, qu’il dit.

Hier encore, je m’énervais le matin de n’avoir le temps de rien. Tant pis pour les 2 tresses, je vais te faire 2 couettes. Tant pis pour mon café. Tant pis je m’habille comme hier. Je pestais dans la voiture contre ceux qui n’avancent pas. Contre ceux qui se garent n’importe comment devant l’école. Contre ceux qui mettent deux plombes à dire à la maîtresse que leur minus a oublié son doudou. Je râlais contre toi qui faisais ta fofolle dans le couloir, et oubliais de me faire un bisou avant d’entrer en classe. Contre ton frère qui voulait toujours qu’on dessine des cœurs sur la feuille de cantine.
Aujourd’hui j’ai le temps. De boire mon café. Mes cafés. De te faire des tresses. De choisir mes fringues. Y a personne sur la route, même pas nous. Je sais pas si y a des voitures mal garées devant l’école. Mais je sais qu’il n’y a personne dans le couloir devant ta classe. Et pas de feuille de cantine.

Hier encore je rentrais fatiguée du boulot. Je courais toute la journée pour ne pas avoir de retard. Pour ne pas finir en retard. Pour pas venir vous chercher trop tard. Pour pas rentrer à la maison encore plus tard. Et c’était toujours la course, vite on retire ses chaussures et on les range, on retire son manteau, on va faire pipi, on mets les habits au sale, on va chercher le pyjama. Mettez votre pyjama pendant que je fais réchauffer la soupe. Allez, il est presque 20h on va se laver les dents et on choisit un livre chacun! Allez allez! Sinon Maman pourra pas lire les 2 livres !

Aujourd’hui on attend 20h. On est déjà en pyj depuis un moment. On n’a pourtant pas encore mangé. Parce qu’on s’est fait un petit apéro tous les 3 en attendant Papa. Et on attend 20h. On ouvre la fenêtre et on applaudit. On crie. Bravo. Bravo à Dr Guillaume, à Claudette, bravo aux copines infirmières, à Simon, bravo à Tonton Thibaud. Et on se réjouit de plus être les seuls à applaudir. T’as entendu Maman?

Hier encore, on était tous les 4 dans une spirale infernale de petits riens du quotidien.
Aujourd’hui tout est remis en cause.

Hier encore on se voyait vivre. Vite. En surface. Un peu le matin, un peu le soir. Un peu plus le WE. Et on voyait pas le problème.
Aujourd’hui on vit. Pas bien. Inquiets. Mais ensemble. Avec les fringues de la veille, et même les couettes de la veille. On prend le temps. On n’a pas le choix. On prend sur nous et on sort pas. On se recentre. On se repose. On prend des nouvelles. On découvre nos voisins. Même de loin.

On a perdu en confiance et en innocence. Surtout toi. Et ton frère. Mais on a gagné en cohésion et en amour. Et on sait maintenant ce qu’on veut.

Alors demain on essaiera de faire mieux.

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1 Commentaire
  • Mam
    22 mars 2020

    Horrible virus qui remet la plume entre tes doigts … Mais tes mots et tes phrases pleins de gravité et d’inquiétude parviennent tout de même à danser légèrement en semant plein d’amour et d’espoir… ❤️

Suis moi !

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